Une étrange Vision (Ghal et ... Messaline ?)

- Dans une petite rue où s'amassent les Diseuses de Bonne Aventure,
Messaline danse pour attirer les curieux.
Ca ne marche pas fort, puisqu'il n'y a que les Gitanes,
qui veulent toutes lui lire les lignes de la mains.
Messaline se dégage d'elles et trébuche.
Ghaleya qui passait par là (pourquoi ?)
se penche pour la relever et a alors une vision.

Cette vision la fait rire aux larmes... par ce que... -

Une belle matinée s'étirait pour laisser la place à un après-midi digne et endimanché de couleurs et d'odeurs, propice à l'éveil des sens de Ghalyela. D'abord le toucher, en laissant sa main palper les fruits des échoppes du marché, puis la vue, en observant attentivement les allées et venues du marchand, et enfin l'ouie, alors qu'il criait au voleur ; mais elle était rapide et la faim tenaillait son ventre. Elle s'éloigna bien trop vite pour lui dans une ruelle et le perdit rapidement. Ouf, soupira t-elle et elle porta avidement à sa bouche la pomme, croquant allègrement dans sa chair, rendue molle par l'humidité. Qu'importe ! Elle mangeait, que demander de plus ? L'unique souci étant que ses maux de ventre comprimaient tellement ses intestins qu'elle connaissait ces derniers temps une maladie des plus pénibles : elle venait de sustenter, en ce début d'après-midi et cherchait depuis longtemps un endroit tranquille pour s'y soulager.

Enfin, après avoir lutté férocement contre cette envie, elle trouva une petite place à l'égard des regards, et les volets des masures l'entourant tel un collier étaient soit fermés soit en si mauvais état que Ghalyela supposa que personne n'y habitait. Elle s'y dirigea et tenta d'ouvrir les battants des portes. En vain. Un peu plus loin, une étendue d'herbe fera l'affaire. Elle était en outre cachée par plusieurs meules de foin pourri.
Malheureusement, un groupe de gitanes dansaient dans la place pour un public... absent. Bizarre, et d'autant plus gênant qu'elle crispa les yeux devant l'assaut de la douleur. Ghalyela mourait d'envie de leur crier de s'en aller, mais que faire ? Quoi invoquer ?

Elle s'avança vers elles, suivant son instinct, pour leur demander de se pousser sans pour autant trouver les mots adéquats. Au même moment, l'une d'entre elles se dégagea du groupe brusquement. Trop brusquement. Elle glissa sur le sol gelé et Ghalyela se jeta vers elle au même moment, pour l'empêcher de tomber. Elle rata son coup et elles s'affalèrent toutes deux à terre. Ghalyela posa ses mains sur le visage de la Gitane à la chevelure flamboyante, caressant des fines rides et la Vision arriva.
Brutale et violente. Tout se déroula devant elle, comme si elle venait de soulever le rideau de la réalité et de découvrir le vrai spectacle que les Dieux concotent pour nous, pauvres Mortels. Personne d'autre ne voyait ce qui se passait et Ghalyela ferma les yeux pour éviter les images. Mais même à l'intérieur, elle vit. Elle vit ce que Messaline - la Gitane qu'elle avait bousculée - deviendrait si elle restait à la Cour des MIracles.
Elle vit son destin. Et en conçut une telle stupeur, un tel chaos inattendu qu'elle éclata de rire.
D'abord secouée sans rien dire, puis son rire éclata. Sa voix se répercuta dans la place et interrompit le jacassage des autres gitanes.

Ps: vous voulez savoir ce qu'elle a vu ? Ahah, va falloir attendre !

Après des jours entiers de mauvais temps et de neige, le ciel avait enfin décidé d'accorder au peuple de Paris la grâce d'un peu soleil; le froid s'en trouvait atténué, mais pas assez cependant pour dégeler les pieds de Messaline, qui, après une nuit inconfortable et glaciale, avait décidé de se dégourdir les pattes en alignant deux-trois pas de danse sur une place déserte.
Au passage, elle espérait trouver quelqu'un pour lui verser une petite pièce, n'importe quoi, pour calmer les élans de son estomac vide.
Malheureusement, il se trouva que l'endroit qu'elle avait choisi était également le territoire d'élection d'un petit groupe de femmes, de celles qui ont pour spécialité de plumer le chaland en leur racontant des bobards sur d'éventuels futurs riants et joyeux et pleins de poneys roses et d'arcs-en-ciel.

Messaline pirouettait sur ses petits pieds, ses jupes bariolées répandant un bruissement d'étoffes et de sequins de cuivre entrechoqués. Le joli tintement métallique des breloques de ses cheveux et de son vêtement fut soudainement interrompu lorsqu'une des gitanes lui attrapa le bras d'une poigne si ferme que Messaline, prise en plein vol, vacilla et patina sur une plaque de neige en manquant de s'étaler de tout son long.
La jeune femme ne put se soustraire à l'emprise de la gitane, tandis que ses consœurs affluaient pour l'entourer, la pressant de toutes parts en lui parlant dans un français teinté de divers accents venus d'un peu partout. Le piaillement des diseuses de bonne aventure monta d'un cran lorsque Messaline, sentant des mains baladeuses tenter de lui soustraire les maigres sous qu'elle cachait à sa ceinture, tenta de se dégager en envoyant au hasard son pied en direction des chevilles maigrelettes de ces harpies.

Las, cela ne suffit qu'à redoubler leur empressement et à resserrer leur poigne sur ses bras tandis que les prédictions fantaisistes et manifestement moqueuses résonnaient sur les façades closes.

Lorsque des doigts se glissèrent dans ses cheveux pour la soulager de ses colifichets qui les ornaient, c'en fut trop pour Messaline qui sentit lui monter au nez une de ces formidables colères dont elle avait le secret; cette fois, ses coups de pied ne furent plus distribués à l'aveugle mais placés avec une adresse diabolique dans les genoux cagneux des mégères, accompagnés d'une vigoureuse salve de jurons qui auraient vexé un charretier.
Un formidable coup de tête sanctionna la première qui l'avait alpaguée, ce qui sonna un peu Messaline, mais l'autre gitane plus encore. Elle recula, vacillante, tandis que ses consœurs se prenaient tour à tour une volée de coups de coude dans le nez.

Enfin libérée, Messaline voulut s'éloigner mais un soulier étourdi se posa sur une plaque de verglas et elle se retrouva en position horizontale avant d'avoir compris ce qui lui arrivait. Et avant même qu'elle ait finit de réaliser qu'elle était à plat dos sur le pavé crasseux de la cour, quelque chose lui arriva dessus et s'affala à moitié sur elle; quelque chose qui s'avéra être une femme.... Noire.
Messaline papillonna des yeux, se demandant si le choc ne lui avait pas fait perdre la raison; et lorsque la femme posa ses mains sur son visage, elle eut un mouvement de recul. Pas encore une de ces fausses diseuses de bonne aventure!
Son rire la surprit, et elle essaya de se redresser, le dos douloureux et le fessier plus encore. Sur quoi était-elle donc encore tombée??

La Vision dépassa sa propre folie, tellement elle était impossible : et Ghalyela rit, encore et encore, jusqu'à ce qu'enfin, elle s'arrête et constate que tous la regardaient et qu'elle, la Reine, s'écartait d'elle et de ses mains posées sur son visage. Elle se relevait brusquement, démontrant qu'elle ne l'était pas encore, princesse, ni même reine...La Reine... La future Reine de la Cour...

***

Un beau monde s'était agglutiné autour de l'estrade, sur laquelle nombre de danseurs exécutaient des figures incroyables, divertissant la cour et le Roi lui-même assis sur un trône sommaire. Ghalyela se frayait un chemin dans la foule bigarrée, et traversait les corps, car elle reconnaissait bien la substance même d'une Vision : les contours à la fois flous et précis, les couleurs ondulantes et l'aspect trop brillant de chaque sourire, chaque visage et chaque oeil. Personne ne la verrait et elle pourrait suivre à sa guise les divers personnages, et connaître ce qui leur adviendrait. C'était grisant de se trouver dans le futur et en même temps terrifiant : et si un jour, elle y restait prisonnière ? Mais pour l'instant, une telle pensée ne l'effleurait pas et elle marchait, écoutant les discussions et captant les bribes d'un dialogue très intéressant :

_ Oui, il parait qu'elle est quelconque mais qu'elle sait tourner la tête du Roi, bien que plus que toutes ses courtisanes !
_ J'sais pas ce qu'elle a, la fille, mais je la connais et elle a rien de spécial
_ Elle l'a peut être ensorcelée, qui sait...

Ghalyela s'écarta du groupe et vola vers un autre, où un détail retint son attention :

_ Le pire, c'est qu'il a annoncé la fermeture du "Grand Tisonnier". Où qu'on va tâter de la cuisse, maintenant ?
_ Eh, regardez, il s'en va !

En effet, le Roi se levait et s'en allait, escorté de ses gardes. Ghalyela lui emboîta le pas. Le décor changea brusquement. Elle se trouvait dans les appartements du Roi. Elle était seule en sa présence, mais non, car une petite femme était agenouillée aux pieds du roi. Il lui demandait gentiment de se relever et Ghalyela la reconnut : c'est la femme qui venait de tomber près d'elle, dans la réalité ! *Où ça ?* Si Ghalyela sortait maintenant de sa Vision, elle n'y reviendrait plus. Elle s'accrocha mentalement pour y rester. Elle n'avait pas encore tout vu.

_ Réfléchirez-vous à ma proposition, mon Roi ? demandait la jeune femme.
_ Cela implique de grands changements, ma douce, je ne sais pas si le peuple les verrait d'un bon oeil.
_ Le peuple sortira grandi de cette évolution et nous aussi. La Cour des Miracles en produira un vrai, de miracle et les puissants de Paris nous laisseront en paix. Nous vivrons heureux ensuite.
_ Cela m'a tout l'air d'un beau rêve. Comment le réaliser ?
_ En me faisait confiance, mon Roi, en me laissant prendre en main ces changements...

Et le décor s'estompa encore une fois. Ghayela réapparut dans la rue, devant l'estrade. Cette fois-ci, un hérault annonçait à voix haute et claire les changements dont avait parlé la jeune femme et le Roi :

_ Oyez, voici le discours du Roi : Messaline deviendra sa Reine. Désormais, ils règneront ensemble sur la Cour. Le Roi a décidé de congédier toutes ses courtisanes, car il préfère rester fidèle à sa Reine. La Cour deviendra un exemple de propreté et de respect pour le reste du monde, et tous nous admireront. Une armée spéciale sera mise en place pour nous protéger des nobles, car aucun d'entre eux ne sera accepté ici bas...

Ghalyela n'écoutait plus. En vrai, elle se sentait partir, car sa mission était terminée. Elle avait entendu ce qu'elle devait entendre, et pas plus.
_ La cour deviendra maison et pays de Dieu, mon Roi, pour cela, vous ne devez plus forniquer, surtout pas avec moi !
De toutes les bribes de vie qui s'arrachaient à elle, avant qu'elle ne quitte ce monde, ce fut cette phrase, prononcée par Messaline qui déclencha son rire.

***

Elle revint à elle et se releva aussi, se tenant les côtes, mais s'arrêta car elle comprenait maintenant. Elle comprenait le danger que représentait Messaline. Elle devint folle de colère à l'idée qu'une petite gitane de rien du tout allait changer la face de la Cour. Personne ne devait intervenir dans les moeurs du Roi ou des autres ; c'est ce qui faisait l'attrait dangereux de cet endroit, là où Ghalyela évoluait à ses risques et périls. C'est là que l'Esprit l'avait envoyé et elle n'avait que faire du dieu des blancs. Que Messaline croit qu'elle pouvait accomplir le dessein des Dieux était risible. C'était elle qui... *Allons calme toi, cette petite ne sait même pas ce qui l'attend.*

_ Messaline, vous devez quitter la Cou' des Mi'acles, sur le champ. Vous n'êtes pas la bienvenue.
Et c'était vrai. Le peuple se soulèverait devant la fermeture des bordels et la transformation de la Cour en un lieu saint. Un lieu saint ! Elle cracha par terre, à cette pensée. La femme parut choquée mais tel était le but de Ghaleyla : la faire partir. Y arriverait-elle si facilement ?