Indahil

Aussi loin que remonte sa mémoire, nul foyer, nul figure maternelle n’apparaît. A la rigueur, quelques visages austères, croisés selon le bon vouloir du destin… Mais rien de plus. Puis il y a un autre visage, celui d’un homme. Des traits qui reparaissent plusieurs fois, puis chaque jour… Au fur et à mesure que mémoire et souvenirs se forment, l’Homme se fait plus présent, jusqu’à être identifié comme ce qui sera le père de la créature. Cet homme, il est sombre, et son sourire est couturé de cicatrices. Mais dans l’obscurité il a quelque chose de rassurant. Il est plus effrayant que ce qui se trouve tout autour, et il est pourtant amical… Alors rien de ce qui se trouve tout autour ne risque de l’effrayer. Rien sauf la disparition de ce sourire.
Puis d’autres visages apparaissent. Tous des hommes. Ils sont cinq. L’un d’entre eux est noir, il a les dents blanches, et dans l’obscurité ses yeux luisent d’une lumière inquiétante. L’autre, plus jeune, est sans cesse marqué d’un doux sourire, mais ses yeux, eux, demeurent sombres et ternes. Le troisième est pâle et son visage maigre est entouré de longs cheveux noirs et gras. Le quatrième est un petit homme roux qui joue du violon. Il a un fort accent Irlandais. Et le cinquième est un homme atteignant la vingtaine, aux cheveux châtains et aux traits familiers.

Au sein de ces visages, celui de la créature se forme. Il se remplit, se dessine tel un portrait en plusieurs étapes. Il est celui d’un enfant, celui d’une fillette, celui d’un garçonnet et celui d’un page. Il est celui que ses frères, car ils sont ses frères, lui demandent d’être. Voilà la famille de la créature. Plus tard, elle comprendra ce qu’ils font de leurs nuits, et que signifie le terme « assassin », puis se mettra à les accompagner. Quel âge a-t-elle lorsque pour la première fois un être vivant expire sous elle ? Ce souvenir-là est vague, mais délicieux.

« Que fais-tu là, petit ? » Elle lève de grands yeux verts en direction de l’homme. C’est un noble, un riche venu se perdre dans les méandres de la Cour des Miracles. Une autre noble, un autre riche lui envie ses biens et ses tîtres. Et l’homme à refusé à son héritier la main très enviable de sa pucelle. Alors de l’argent fut donné contre la promesse d’envoyer le noble manger les pissenlits par la racine. L’enfant ne sourit pas, il prend un air désespéré, et ses yeux s’emplissent de larmes. « Pourquoi pleures-tu, petit ? Tu as perdu tes parents ? » Il y a, dans le miel de la voix de l’homme, quelque chose de dégoûtant. Quelque chose qui assurera à l’enfant l’occasion rêvée. « Suis-moi, je vais te donner à manger » Tandis que l’enfant n’a toujours rien dit, l’homme lui prend la main et l’attire dans un petit troquet. Il lui paye du pain, et même un peu de viande. C’est savoureux, et c’est chaud. L’enfant mange très volontiers, et s’essuie la bouche dans sa manche. Il relève vers l’homme un regard reconnaissant, avale une gorgée de vin, puis se fait immobile. Il attend.
« Tu vas venir avec moi ? » demande l’homme. L’enfant opine du chef.

Cette fois, c’est un grognement, et il y a moins de douceur dans les gestes de l’homme. Il est connu, dans les bas-fonds, pour son amour des petits garçons. C’est une aubaine. Alors qu’il referme la porte à clef derrière eux, l’enfant s’approche d’un miroir, dans lequel il observe un instant son reflet. Il n’a toujours dit mot.

Finalement, l’homme se dévêtit et l’incite à approcher, calmant de paroles fausses les éventuelles craintes de l’enfant. Celui-ci, nullement effarouché, s’approche. Il s’agenouille aux côtés de l’homme. Il esquisse un geste vers lui, sans doute pour lui ôter sa chemise blanche, mais l’enfant l’arrête d’un geste. Il tient la main de l’homme, fermement, et se penche à son oreille.

« Au revoir »

Ainsi Indahil devint l’assassin qu’elle était. Elle apprit en compagnie de ses frères adoptifs les bases de l’art de confectionner des poisons, ainsi que celui du combat et celui d’être furtif en toute occasion. Elle appréciait le fait d’être à leurs côtés une ombre floue et fugitive. Elle aimait la surprise qui envahissait le regard au moment de la mise à mort. Il était aussi doux à ses lèvres que celles d’un amant. Aussi brûlant.
Elle était consciente de n’être à ces hommes qu’une pièce rapportée. A la manière d’un bâtard que l’on sauve de la mort, et qui s’entiche de vous. Mais dans leur petite compagnie, ils étaient tous au même barreau de l’échelle. Ils étaient frères sans l’être, un simulacre de famille qui se contentait volontiers de la situation. Certains de ses frères partirent, durant son adolescence. Mais elle s’en moquait, un peu comme tous. Ils voulaient voir ailleurs. Voyager, apprendre…

Indahil trouvait à Paris tout ce dont elle avait besoin. Il ne lui fallut pas longtemps pour apprendre l’art du sexe, et se rendit très vite compte que cela pouvait être une arme redoutable, lors d’un meurtre. Mais elle ne se limitait pas à ses victimes, et découvrit l’ivresse et la douceur de l’acte en même temps que son pouvoir. Elle fit ses premières armes avec son cinquième frère. Ils étaient si proches… Sans doute était-il le seul à entendre ce qu’Indahil ne disait pas. Et il était, en ce monde obscur, une parcelle de lumière délicieuse. Pourtant ils n’étaient pas liés par l’amour de deux amants. Ils avaient simplement besoin l’un de l’autre, et rapidement devinrent complémentaires sous le regard amusé du vieil assassin. Car leur père avait vieilli. Bien vite il commença à s’affaiblir. Il avait contracté une maladie qui l’abattait un peu plus chaque jour, offrande vicieuse de quelque fille de joie. Et la petite troupe n’avait d’autre choix que de regarder l’homme se diriger à pas lents vers une mort certaine.

Et la mort ne se fit point prier. Mais pas de la manière qu’ils escomptaient tous. Un soir qu’ils s’enivraient de drogues et d’alcool, leur père défiguré par la maladie, ils faisaient la part de ce que leurs contrats leurs avaient rapporté. L’homme vieilli prématurément était fier de ses héritiers, et leva un verre de trop à leur santé. Personne ne s’étonna de le voir sortir, prit de nausées, et cela fit même rire les héritiers. Mais alors que les minutes passaient, en cette nuit d’hiver, et que l’homme demeurait invisible, on commença à s’inquiéter de son sort. Leur frère roux décida de sortir voir ce qu’il se passait.
A nouveau, les minutes s’écoulaient sans que leur frère ne reparaisse. Alors c’est tous ensemble, soit trois, qu’ils allèrent prendre des nouvelles des deux hommes. Le spectacle qu’ils découvrirent leur coupa le souffle. Les deux hommes, enlacés dans la neige souillée, avaient sous le menton un large sourire de dessiné. Leur vie leur avait été ôtée par l’acier…

On gardera un souvenir pénible et douloureux de ce soir-là, et tous leurs gains finirent, en mémoire des hommes, dans les eaux de la seine. Car ils ne seraient pas enterrés. C’était une offrande froide, mais les cœurs étaient serrés.
Ainsi la vie de ces trois frères et sœurs d’armes se plaqua sur la litanie de la vengeance, et c’est de concert qu’ils débutèrent leur enquête. Il leur fallait à tout prix savoir qui avait commandité la mort du vieil assassin. Et pourquoi.
Leur troisième frère perdit la vie dans un troquet, les laissant tous deux à leur quête.

Aujourd’hui plus d’un an a passé. Et ils poursuivent leur quotidien sans s’écarter du leur sentier d’autrefois. Cependant l’image de ces morts précieux est toujours présente.
Le responsable mis à jour, une chose est sûre, ses os ne tarderaient pas à luire sous la sombre lune de Paris.

Objectifs et possibles évolutions : Elle n'y consacre pas chacun de ses pas, et ne se mettra pas réellement en quête du commanditaire du meurtre de son père adoptif, mais s'il devait advenir qu'elle pose la main sur lui, elle offrirait à l'homme une mort pleine d'opprobre, et sans la moindre dignité.